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Le décrochage scolaire en France : exacerbé par la crise sanitaire ?

18 Déc 2020

En 2016, le Centre national d’études des systèmes scolaires estimait à 450 000 le nombre de décrocheurs scolaires. C’était sans compter sur le confinement, car au terme de celui-ci, Jean-Michel Blanquer estimait à 500 000 le nombre d’élèves ayant perdu le contact avec leurs enseignants : “La France a un taux de décrochage, le meilleur ou le moins mauvais, si je puis dire, d’Europe.” Un constat à prendre avec pincettes car selon Ouest France et d’autres sources, le nombre de décrocheurs s’élevait à 900 000 suite au confinement.

Comment expliquer cette explosion du nombre de décrocheurs depuis le premier confinement ?

A compter du 16 mars, les écoles, collèges, lycées et universités ont fermé au même titre que tous les endroits à interaction sociale. Une décision qui a évidemment eu de grosses conséquences sur le niveau scolaire des élèves. En effet, selon les enseignants, 20% des élèves sont désengagés de leur scolarité depuis le début du confinement, dont 30% en éducation prioritaire. Ce constat est inquiétant, d’autant plus que 40% de ces élèves désengagés n’étaient pas identifiés par leurs enseignants comme élèves à risque de décrochage avant le  confinement. En effet, devoir travailler à la maison a demandé beaucoup d’autonomie et de responsabilités aux élèves, choses qu’ils ne maîtrisaient pas souvent. De plus, l’absence de sens à travailler (75% des enseignants la citent), les mauvaises conditions de travail et le manque de matériel numérique (cités par 56% des enseignants) ont amplifié ce manque de persévérance des élèves.

De plus, les professeurs n’étaient pas toujours présents pour soutenir les élèves virtuellement. Beaucoup d’entre eux ont eu du mal à se mettre à l’éducation digitale car ils n’en ont jamais eu l’habitude. Une enquête du service statistiques du ministère de l’Éducation nationale publiée en juillet indique qu’entre 6 et 10 % des élèves n’avaient pas de contact avec leur enseignant. On y apprend cependant qu’une grande majorité des enseignants disent avoir maintenu le contact avec leurs élèves lors du confinement, soit 94 % en primaire et 90 % en collège et lycée. Cela donne toujours toutefois un nombre de décrocheurs non négligeable.

Plus précisément, l’étude indique que 77 % des enseignants de primaire considèrent que leurs élèves ont appris de manière satisfaisante, contre 68 % en collège et lycée. Mais des disparités existent selon le niveau de scolarisation et le secteur d’enseignement. Si on ne se concentre que sur les établissements situés en réseau d’éducation prioritaire, les indicateurs dégringolent. Les professeurs des écoles ne sont plus que 64% à se déclarer satisfaits de l’apprentissage de leurs élèves. Quant aux enseignants de collège, moins d’un enseignant sur deux est satisfait. En ce qui concerne les parents, les avis sont aussi mitigés : 66 % des parents considèrent que le niveau d’apprentissage a été maintenu, mais seulement 41 % que leur enfant a progressé dans ses apprentissages.

Ces constants ne sont pourtant pas si étonnants. En effet, la pandémie de Covid-19 a été un révélateur puissant de ce manque de connaissances et compétences en digital, autant chez les enseignants que chez les élèves. Nombreux ont été ceux à ne pas maîtriser les logiciels numériques tels que zoom, teams.. ou à être rapidement perdus face à l’utilisation du digital au quotidien. Certains enseignants déplorent d’ailleurs l’existence de formation en matière de numérique. Si on ajoute à cela le fait que certaines familles ont davantage accès à des outils numériques que d’autres, il n’est pas étonnant que les décrocheurs scolaires soient souvent issus de familles défavorisées. En effet, la « classe à la maison » voulue par les instances pédagogiques n’était pas possible, entre le manque de temps des parents en télétravail ou encore leur absence de formation pédagogique. « Ce bricolage n’a pas tenu longtemps et la majorité des enfants n’ont pu que réviser, sans apprentissage de notions.” – affirment certains enseignants. L’un d’entre eux a lui-même vécu ce confinement particulier à la campagne, pris entre l’animation de ses classes virtuelles et le suivi scolaire impossible de ses enfants, faute de disponibilité.

Que retenir de ce confinement en matière de décrochage scolaire alors ? Pour Florence Rizzo, cofondatrice et codirectrice de  l’association SynLab : “ Ces chiffres confirment l’ampleur du signal d’alerte. Le risque est fort de perdre une génération à cause d’un décrochage scolaire massif. Les enseignants sont notre première ligne éducative ! Il est donc urgent de soutenir nos 900 000 enseignants pour relever cet immense défi.” Les professeurs demandent un soutien pour mobiliser à nouveau ces élèves désengagés au moment du retour en classe. Ils désirent non seulement des besoins en termes de moyens humains et de temps disponible, mais également des besoins d’appui en compétences pédagogiques; comme par exemple motiver les élèves, revenir à des habitudes de travail en groupe classe, individualiser le soutien aux élèves en fonction de leurs niveaux…

Néanmoins, il serait erroné de penser que le décrochage scolaire est uniquement une conséquence du confinement. Ce problème sociétal existait déjà bien avant. Celui-ci trouve ses causes dans de nombreux facteurs extra-scolaires comme l’inactivité parentale, un foyer familial défavorisé, un manque de soutien…mais aussi des raisons scolaires comme le reflet d’exclusion, de harcèlement ou de mal-être vis-à-vis de leurs enseignements.

Et c’est parce que les conséquences de ce décrochage scolaire sont graves qu’il ne doit pas être pris à la légère. En effet, 3 ans après leur sortie du système de formation, 50% de ceux qui ont décroché se retrouvent au chômage contre seulement 11% des jeunes qui sortent diplômés de l’Enseignement supérieur. D’un point de vue économique, le décrochage scolaire comporte un coût : à la fois pour l’État – près de 30 milliards d’euros de dette contractée chaque année – mais aussi pour le jeune décrocheur qui connaîtra des difficultés sociales et économiques dans sa vie future. 

C’est pourquoi l’Etat lutte depuis des années contre ce décrochage scolaire, avec 3 axes d’action : la mobilisation de tous, le choix de la prévention, et une nouvelle chance pour se qualifier. Voici 10 exemples de mesures mises en place :

  • Prendre en charge les jeunes par des réseaux “Formation Qualification Emploi” et des plates-formes de suivi et d’appui
  • Proposer des solutions de formation, d’apprentissage ou un service civique
  • Former des équipes pédagogiques aux signes avant-coureurs
  • Encourager les parents à suivre la scolarité et l’orientation de leurs enfants 
  • Faciliter les choix d’orientation en proposant différents parcours tels que le Parcours Avenir et le Parcours Aménagé de Formation Initiale 
  • Donner le droit au redoublement aux candidats ayant échoué au CAP ou encore au baccalauréat dans leur établissement et à la conservation de leurs notes égales ou supérieures à 10.
  • Proposer le service national volontaire afin d’alterner les formations militaires, scolaires et professionnelles. 
  • Offrir le droit au retour en formation pour les jeunes de 16 à 25 ans sortis sans diplôme ou simplement le baccalauréat mais sans qualification professionnelle reconnue 
  • Proposer aux jeunes des solutions alternatives grâce au site reviensteformer.gouv.fr. Ils bénéficient d’un référent avant, pendant et après leur retour en formation.
  • Prévenir le décrochage grâce à la campagne “reviens te former” mise en place en 2015

Les conséquences du premier confinement ont toutefois été si lourdes que l’Etat n’a pu se résoudre à fermer les écoles, collèges et lycées lors du second confinement. Le but ? Éviter à tout prix une nouvelle hausse du nombre de jeunes en proie au décrochage scolaire et donc à un futur incertain. En effet, la scolarisation et la validation de diplôme sont des facteurs protégeant de la pauvreté et c’est pour cette raison que l’Etat tente de mettre en place de multiples actions. Le décrochage scolaire n’est donc pas une fatalité, mais un problème sociétal contre lequel on peut lutter. Néanmoins, le bilan reste pour le moment incertain quant au choix d’avoir laissé les écoles ouvertes durant le second confinement.